JO 2024. POURQUOI LA GYMNASTE FRANçAISE KAYLIA NEMOUR CONCOURT POUR L’ALGéRIE ?

La Française Kaylia Nemour, qui dispute les Jeux olympiques de Paris 2024 avec l’Algérie, est devenue depuis plusieurs mois l’une des meilleures gymnastes mondiales du moment. Ancien grand espoir de la gymnastique tricolore, la native d’Indre-et-Loire a changé de nation sportive en mai 2023, optant pour la nationalité de son père, après un conflit rocambolesque entre son club d’Avoine-Beaumont et la Fédération française de gymnastique. Récit d’un immense gâchis.

Ses prouesses laissent en toile de fond des regrets immenses pour la France, surtout après le fiasco des Bleues lors des qualifications des Jeux olympiques de Paris 2024. Les médailles glanées par Kaylia Nemour ces derniers mois auraient dû être avec et pour l’équipe de France. Disputer les Jeux à domicile, en étant vêtue du justaucorps bleu, aurait même été un rêve éveillé pour la native de Saint-Benoît-la-Forêt (Indre-et-Loire), mais c’est pourtant - et malheureusement pour la France - avec l’Algérie qu’elle connaît ces émotions uniques.

La raison ? Un improbable imbroglio avec la Fédération française de gymnastique (FFG) - dont elle était l’un des grands espoirs -, qui l’a poussé in fine à prendre la nationalité algérienne et se donner la possibilité de vivre ces moments d’exaltation. Aux prémices de cette histoire rocambolesque et de sa décision de quitter la France pour l’Algérie, c’est le projet mis en place fin 2021 par la FFG : l’instance fédérale avait la volonté de regrouper toutes les meilleures gymnastes françaises dans les pôles d’entraînement de l’Insep à Paris ou à Saint-Etienne. « C’était absolument nécessaire de créer une dynamique particulière et de rassembler nos forces vives pour aller plus loin », justifiait le président de la Fédération James Blateau, jeudi 13 juillet 2023, dans La Nouvelle République .

Une guerre ouverte entre son club et la Fédération

Mais toutes les athlètes d’Avoine-Beaumont (sauf Maëva Guéry), comme l’Angevine Carolann Héduit ou Kaylia Nemour, ont décliné la proposition de la Fédération, ne souhaitant pas bouleverser leurs habitudes avant les JO et rester dans leur club familial. Leur entraîneur, Marc Chirilcenco, a également refusé un poste d’entraîneur à l’Insep. Après cette pluie de refus, l’ambiance est alors devenue tendue entre les deux parties. Très souvent en retrait, laissant son mari Marc sur le devant de la scène, Gina Chirilcenco a pris la parole quelques mois plus tard et a accusé la FFG de « harcèlement » dans un long message publié sur Facebook, le 6 juin 2022, pour lancer « un cri du cœur, de colère et d’incompréhension. »

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« Malgré plusieurs réponses négatives des gymnastes concernées (licenciées à Avoine), renvoyées au directeur technique national en expliquant bien leur choix de poursuivre leur parcours dans leur club, une campagne de harcèlement et des menaces s’abattent sur elles, sur le club et, nous, leurs entraîneurs », écrivait Gina Chirilcenco. « Lors d’une réunion fin avril 2022, la Fédération leur a dit : ’’Vous avez le choix. Soit vous vous déplacez vers l’Insep ou Saint-Étienne, soit vous ne pourrez plus prétendre au collectif France’’. Vous appelez ça un choix ? Ce n’est pas acceptable. On ne peut plus se taire. Il fallait alerter », a raconté la présidente du club et mère de Kaylia, Stéphanie Nemour, à La Nouvelle République.

Pascal Héduit, père de Carolann, avait, de son côté, fait un signalement auprès du Ministère des sports pour harcèlement moral envers sa fille. « Les dirigeants de la Fédération ne supportent pas qu’un club comme Avoine-Beaumont puisse fournir la moitié de l’équipe de France. Carolann (Héduit) a toujours refusé car elle se sent bien dans ce club, où elle évolue depuis dix ans. Mais on a continué de lui mettre la pression. Et ce n’est pas la seule », expliquait Pascal Héduit dans nos colonnes, en mai 2023.

La Fédération française de gymnastique avait également lancé un signalement auprès du service départemental jeunesse et sport d’Indre-et-Loire contre le couple d’entraîneurs pour « mise en danger d’autrui » et « suspicion d’emprise générale » sur leurs athlètes (ils ont été blanchis le 21 décembre 2023). Marc et Gina Chirilcenco avaient déjà été relaxés par la Commission de discipline de la FFG, en novembre 2022, pour les mêmes faits.

« Je ne comprenais pas, j’étais en colère »

Pendant cette guerre ouverte entre son club et l’instance fédérale, Kaylia Nemour revenait à l’entraînement après deux opérations aux genoux effectuées à l’été 2021 pour soigner une ostéochondrite sévère (une pathologie qui touche des zones de croissance des os et du cartilage). Son chirurgien lui avait autorisé à reprendre la compétition en mars 2022, mais le médecin de la Fédération française, Pierre Billard, avait, lui, mis son véto pour la reprise de la jeune gymnaste de 17 ans. Sans l’avoir occulté, selon l’athlète franco-algérienne et ses proches. « Je ne comprenais pas, j’étais en colère. Je ne faisais plus rien, alors que j’avais la capacité de faire des compétitions. Je me disais : ’’Mais ça va durer combien de temps ?’’ Faire encore un an sans compétition, je n’aurais même pas pu être prête pour les JO’’ », racontait Kaylia Nemour à Ouest-France en mars dernier, consciente qu’elle devenait une victime collatérale du conflit.

« Je pense qu’au début ça venait d’une bonne intention de la FFG, puis après tout s’est envenimé, expliquait sa mère Stéphanie Nemour. On n’est pas idiots, il fallait cicatriser ses opérations avant de reprendre. Mais ses kinés avaient suivi tout le processus avec elle, donc quand on a reçu ce mail de refus, on était surpris… » L’autorisation ne venant pas et voyant l’échéance des Jeux olympiques se rapprocher, Kaylia Nemour décide de prendre la nationalité algérienne de son père, en juillet 2022, malgré les alertes de Marc Chirilcenco auprès de la FFG quant à la possibilité de perdre une gymnaste aussi talentueuse. « On était tous déçus. On ne s’attendait pas à ça, il n’a jamais été question de partir à l’étranger pour Kaylia. On a fait des compromis, on a essayé de discuter, mais les portes étaient fermées… », regrettait son père Jamel Nemour.

Le hic, c’est que, contrairement à la Fédération internationale, la FFG n’a pas autorisé le changement de nationalité de Kaylia Nemour, qui a donc dû respecter un délai de carence d’une année comme il est prévu dans les règlements dans ce cas de figure. Elle aurait donc normalement dû voir les championnats d’Afrique, qualificatifs pour les Mondiaux 2023, eux-mêmes sélectifs pour les JO de Paris, lui passer sous le nez.

Mais le 16 mai 2023, deux jours après la diffusion d’un reportage sur des maltraitances au sein des équipes de France sur Stade 2 et dix jours avant le début des championnats d’Afrique à Prétoria (26-27 mai), la ministre des Sports Amélie Oudea-Castera s’est emparée du dossier et a acté le changement de nationalité de l’actuelle vice-championne du monde aux barres asymétriques.

« Changer de nationalité, le meilleur choix qu’elle ait fait »

Enfin libérée du poids de cette affaire, l’athlète franco-algérienne a pu y participer et a tout de suite impressionné pour sa première compétition internationale en ayant été sacrée championne d’Afrique du général individuel et médaillée de bronze par équipe. Qualifiée pour les Mondiaux à Anvers, l’Avoinaise a remporté en Belgique la médaille d’argent aux barres asymétriques, la première de l’histoire de l’Algérie dans cette compétition, et a décroché son ticket pour les Jeux de Paris, là où elle a de grandes chances de ramener une médaille olympique sur les barres asymétriques, dimanche 4 août.

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Sous les couleurs de l’Algérie depuis plus d’un an maintenant, la gymnaste est devenue l’une des meilleures du globe et a enfilé les médailles comme des perles autour de son cou au gré des compétitions. Avant de viser le sacre ultime aux barres asymétriques, chez elle, à Paris, en France, mais avec le « justo » algérien. « Changer de nationalité, c’est le meilleur choix qu’elle ait fait et qu’on ait fait. Parce qu’aujourd’hui, je vois ma fille qui est souriante, qui prend plaisir, qui retrouve un objectif et qui arrive à la maison en étant heureuse. Il n’y a pas d’autre mot », disait sa mère, en mars dernier. Aujourd’hui, Kaylia Nemour en est certaine : son choix a été payant, ses performances à Paris parlent d’elles-mêmes. Une médaille en France pourrait être un sacré pied de nez à la Fédé.

2024-08-01T04:36:45Z